Un article du Monde du 1er décembre 2015 intitulé « VW veut des lanceurs d’alerte mais pas trop » (http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/11/30/volkswagen-veut-des-lanceurs-d-alerte-mais-pas-trop_4820428_3234.html) expliquait que la période de « libre expression » mise en place par Volkswagen s’est achevée le 30 novembre 2015 ! Cette démarche visant à encourager les « aveux » après un scandale avait déjà été pratiquée dans d’autres entreprises après une situation de crise. Ainsi chez Siemens, c’était un programme « d’amnistie » …. autant de qualificatifs bien éloignés de la confiance nécessaire pour créer une dynamique de progrès collectif dans une entreprise.
Vivre le droit d’alerte comme un élément de culture managériale
Est-ce un manque de confiance dans les salariés ? est-ce une difficulté à imaginer qu’une politique ou une décision soit susceptible de ne pas être mise en oeuvre comme elle a été voulue ? est-ce la peur d’avoir à regarder « sous les jupes » selon l’expression d’Henri Vacquin ? sans doute un peu de tout cela.
Si les dirigeants intégraient dans leur pratique, l’écoute des alertes émises par les salariés de leur entreprise, beaucoup de défauts de qualité, d’incident et de situations de crise pourraient être évitées. Pour cela encore faut-il que les managers soient sur le terrain. Encore faut-il que les dirigeants soient ressentis par leurs équipes comme des « ressources » et non des « juges ». Cette conversation en confiance au sein d’une entreprise se nourrit du comportement des managers, des dirigeants pour contribuer à une fluidité constructive.
Assurer et réassurer en permanence
Le principal danger pour un dirigeant est d’être anesthésié, coupé de la réalité du terrain et de croire que le projet qu’il a en tête est tellement évident et pertinent qu’il ne peut pas être incompris et non mis en oeuvre. Avoir un projet formidable, un mode de management exemplaire….sans possibilité d’écoute des expressions des difficultés ou des écarts, constitue une fragilité et une méconnaissance du fonctionnement des systèmes qui finissent forcément par se gripper si on ne prend pas la précaution de les ré interroger régulièrement.
Cela se joue aussi dans les pratiques de concertation sociale institutionnelle, notamment dans les grands Groupes. Tant que ces relations sont vécues dans un climat de défiance réciproque et de représentations guerrières, l’écoute et les débats n’y sont ni constructifs ni utiles, pour aucune des parties prenantes et donc pas pour les salariés et pas pour l’entreprise.
L’information finit toujours par sortir…et pas au bon endroit
J’avais été frappée par une situation rencontrée il y a bien des années dans une centrale nucléaire. C’était avant les réseaux sociaux. Nous étions juste après Tchernobyl, dans la période où le management des centrales nucléaires était en transformation pour intégrer la transparence, le retour d’expérience et la circulation de l’information au sein du parc nucléaire français pour éviter qu’un presqu’incident local ne devienne un incident, ou qu’il ne se reproduise ailleurs.
A la suite d’un incident sans conséquence, la consigne avait été donnée par les responsables locaux de ne pas en parler aux responsables nationaux. L’information sur l’incident a fini par sortir dans un média de proximité. Ce fut une crise interne forte qui s’est soldée entre autre décision, par un changement des dirigeants dans cette centrale qui en donnant une consigne de silence, avaient enfreint les procédures de traitement des incidents et presqu’incidents. Ce contresigne mettaient les opérateurs dans une situation insoutenable….et l’issue pour eux était de parler à l’extérieur. Ce fut donc par la presse que les dirigeants nationaux ont appris l’incident. J’étais alors directrice de la communication des centrales nucléaires. Je me souviens bien de la crise profonde qu’a occasionné cette situation et de la prise de conscience des dirigeants nationaux, de la difficulté à intégrer dans la culture interne la notion de confiance et de transparence.
Cet écart aurait pu remettre en question cette transformation engagée dans la durée. Pour autant les signaux donnés ont été entendus et la politique de transparence a été poursuivie, avec une présence plus soutenue sur le terrain, des échanges systématiques en interne sur chaque situation rencontrée et un partage plus formalisé des retours d’expérience.
Pas de confiance sans liberté d’expression
Lorsque je suis devenue « dirigeante » quelques temps plus tard, j’ai beaucoup travaillé sur ce sujet considérant que dans une industrie à risque, la possibilité d’exprimer une alerte fait partie du professionnalisme et de la responsabilité de chaque salarié. Il revient au dirigeant de créer les conditions pour cela soit possible. Les managers intermédiaires sont les premiers concernés pour accompagner ce mode de fonctionnement et ne pas le vivre comme « une dénonciation » ou une remise en question personnelle.
Les mots utilisés pour parler de cette pratique d’alerte dans les entreprises sont révélateurs. Parler « d’aveux, d’amnistie » ….c’est exprimer le contraire de la confiance et de l’écoute mutuelle requises pour un fonctionnement collectif constructif.
Une émission de France Inter « Le téléphone sonne » le 11 mars 2015 posait plusieurs questions concernant les lanceurs d’alerte : quelle protection ? comment créer les conditions de l’expression, de l’écoute ? Quels risques ? Est-ce un phénomène nouveau ? Il en ressortait que ce sujet est peu connu dans la plupart des entreprises et que les RH et les juristes se disent incompétents. C’est d’abord une attitude, un comportement managérial.
Lorsqu’une situation est ressentie comme dangereuse ou contradictoire avec l’intérêt général, si elle ne peut pas être exprimée en proximité, si elle est niée…..elle sortira de toute façon à un moment où à un autre.
Le « dirigeant éclairé » est celui qui ne se satisfait jamais des propos anesthésiants ou des phénomènes de cour traditionnels autour du pouvoir. Il est sur le terrain, disponible et à l’écoute.