Un article récent dans les Echos (« ERDF et GrDF détricotent leurs activités communes »-23/05/2015) relate la fin de la « mixité » des activités opérationnelles de distribution de gaz et d’électricité. Cette décision est présentée comme une avancée sans rappel du sens de cette alliance historique, sans analyse de ses apports et de ses points faibles.
On dit souvent « qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage ». C’est un bon résumé de la situation.
La mixité : une étrangeté efficace pour le client
Lorsque j’étais à EDF, dans le parc nucléaire, cette « mixité » des activités de distribution de gaz et d’électricité dans la direction voisine me semblait bizarre et incompréhensible. Puis lorsque je suis arrivée à EDF GDF services, j’ai réalisé que cette situation était un vrai plus, en terme de management comme de relation avec le client. L’équilibre se faisait naturellement sur le terrain, entre les activités réalisées pour l’une et l’autre énergie. C’était une identité, une facilité pour tous symbolisée pour les clients par les voitures bleues !
La décision prise au moment de la création d’EDF et de Gaz de France, s’est traduite au fil des années par une vraie prise en compte de l’intérêt du client, de la complémentarité entre les deux énergies et d’un objectif d’optimisation opérationnelle. Avant d’être annulée et d’engager ce « détricotage », elle aurait méritée d’être analysée avec soin. Il n’y aura pas de « réversibilité ».
Les temps ont changé, les organisations ont évolué
Depuis beaucoup d’évolutions ont été menées dans les métiers de la distribution de gaz et d’électricité. Notamment pour celles dont j’ai été témoin, une transformation majeure de l’organisation managériale dans les années 1980-90 visant à diminuer le nombre de niveaux de management, à responsabiliser les directeurs départementaux et à trouver de la productivité. Ce fut une remise en question profonde et efficace.
Cette direction qui rendait des comptes à EDF et à Gaz de France, la plus importante en nombre de salariés, bénéficiait de réelles marges de manoeuvre. Les exécutifs de l’un et l’autre Groupe, faisaient confiance au dirigeant de cet ensemble pour gérer les meilleurs équilibres dans le respect des intérêts de chacun. Cette situation a été remise en question lorsque les présidents d’EDF sont arrivés d’autres univers. La taille et le pouvoir de cette direction, a pu en effrayer certain.
Il y eut ensuite la séparation des activités de commerce et des activités de réseau au sein des deux Groupes, pour l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence (cf « Energie et concurrence, 8 ans plus tard », article dans ce blog). Ce fut une autre révolution managériale et organisationnelle. Dans cette étape, la décision a été prise de conserver un service commun à ERDF et à GrDF, rassemblant les activités opérationnelles réalisées pour l’une et l’autre énergie.
Cette rareté organisationnelle était un choix courageux car peu facile à comprendre pour ceux qui ne connaissent pas réellement les activités. Il pourrait se révéler profitable pour tous les acteurs (clients, collectivités locales, autorités concédantes, salariés, actionnaires) si une rénovation du contenu de l’alliance entre les deux opérateurs était engagée, pour assurer les performances et la satisfaction des multiples interlocuteurs dans la durée.
Quand les intérêts divergent, le sens se dilue
Mon homologue à ERDF en 2007, s’exprimait en disant que l’interaction entre les deux réseaux (ERDF et GrDF) prévalait sur l’axe vertical qui reliait ERDF à son Groupe. Cette expression courageuse a vite été oubliée. Le Groupe actionnaire ne voyait pas d’un bon oeil qu’ERDF suive le même chemin que RTE, devenu une référence de gestionnaire de réseau indépendant et neutre.
Ce fut difficile ensuite de ré enchanter la mixité, avec des Présidents des deux groupes en parfaite inimitié. Et pourtant, l’un et l’autre utilisent les deux réseaux pour leur activité commerciale. EDF utilise le réseau ERDF pour ses offres électricité, et utilise le réseau GrDF pour ses offres gaz. Idem pour GDFSUEZ (issu de la fusion en juillet 2008 de Gaz de France et de Suez).
Les réseaux ne sont évidemment pas en concurrence à condition qu’ils respectent les principes de neutralité et de non discrimination dans leur comportements, et la juste distance avec leur actionnaire « fournisseur d’électricité et de gaz ».
Par ailleurs, d’autres synergies se sont mises en place aussi avec RTE dans les régions comme la Bretagne ou Provence Côte d’azur, pour que le réseau de gaz là où il est présent, soit plus utilisé pour le chauffage et l’eau chaude, de façon à alléger l’appel d’électricité dans les périodes de forte consommation.
Des réseaux complémentaires, pour des scénarios basés sur la complémentarité des énergies
Les décideurs d’après guerre ont voulu que les activités de distribution d’électricité et de gaz soient réalisées par les mêmes équipes sur le terrain. Il s’agissait de déployer des infrastructures pour que l’électricité soit dans tous les foyers, et de créer la possibilité de développer l’accès au gaz naturel pour le chauffage et l’eau chaude dans toutes les communes où cela était possible.
Les principes de péréquation et de service public prévalaient à toute autre considération. Ce choix a été souvent envié par les pays voisins et parfois copiés. La réussite française tient à la conjonction entre une volonté politique, une vision des dirigeants d’EDF et de Gaz de France et l’engagement des salariés et de leurs représentants dans la mise en oeuvre au quotidien. Le sens était partagé et guidait l’action individuelle et collective. L’intérêt du client prévalait. Une façon de vivre le service public.
De nombreuses synergies à réinventer ou à transformer
Dans ce service commun, le volume d’activité gazière est de l’ordre de 25% par rapport aux activités en électricité. Cette proportion a évidemment été de tout temps commentée, soit pour expliquer que le gaz vivait sur le dos de l’électricité, soit pour expliquer que l’électricité captait la ressources financières et humaines au détriment de l’autre énergie. Saine émulation. Ni l’un ni l’autre de ces procès n’a d’intérêt, sauf pour engager la fin de l’alliance. C’est ce qui s’est passé. La mixité commençait à être considérée comme « ayant la rage ».
La souplesse induite par la mixité des équipes opérationnelles est un vrai plus en matière de gestion des compétences et de déroulement de carrière. D’autant plus qu’aujourd’hui la fluidité au sein de chacun des deux groupes est de plus en plus difficile pour des raisons différentes, qui conduisent au même résultat : une réelle difficulté pour les professionnels de la distribution à évoluer dans d’autres secteurs ou filiales de leur Groupe.
C’est aussi un plus pour les managers, en matière de formation et de professionnalisme, d’avoir un vivier de compétences pour occuper des postes dans l’une et l’autre énergie. L’ajustement des équipes selon les programmes d’investissements ou selon les périodes de fortes activités dans l’une ou l’autre énergie, se faisait simplement et sans dégrader le professionnalisme et sans surcoût. La mobilité fonctionnelle et géographique ayant toujours été la condition sine qua non de « l’emploi à vie ».
C’est plus facile de se séparer que de réinventer une alliance
Nous avions commencé à travailler ensemble sur les compteurs communicants, dans l’esprit d’optimiser les travaux de recherche, notamment en matière de système information. Il s’agissait aussi pour moi de garder ouverte une possibilité d’interaction pour demain ou après demain dans l’échange d’informations de consommation d’énergie.
Innover ensemble tout en avançant chacun selon son rythme et ses priorités était possible pour peu que cette façon de voir et de raisonner soit partagée. Ce n’était pas le cas avec la nouvelle responsable d’ERDF. Nous n’avions pas la même vision des relations entre les infrastructures de réseaux, pour le futur. Pour autant les gaziers, avec le compteur Gazpar, ont opté pour une technologie évolutive. Quant à nos correspondants dans les ministères de tutelle, ils regardaient cette histoire de mixité sans bien s’y retrouver…
Au moment où la loi transition énergétique prône la complémentarité, l’ouverture pour trouver des synergies favorables à la mobilisation pour une réelle maîtrise des consommations et des émissions de gaz à effet de serre, aucune réflexion sérieuse n’a été menée sur cette décision prise discrètement de détricotage du service commun.
J’ai été frappée par les réactions de jeunes salariés des deux Groupes sur les réseaux sociaux, applaudissant à cette décision de séparation, comme étant un beau projet !! Alors que personne n’a donné les éléments de compréhension sur l’origine de la « mixité », sur ce qu’elle pourrait être pour peu que les dirigeants mobilisent leur intelligence à réinventer une synergie plutôt qu’à la détruire.
Au fait quel est le projet ?
Bonjour,
Le sens de l’histoire va en effet vers ce « détricotage » initié il y a déjà quelques années. Peut-on d’ailleurs parler de détricotage quand aujourd’hui la dislocation est à ce point avancée ?
Je vous rejoins sur le sens donné au service commun, héritier d’une longue histoire, dénominateur commun (ou passerelle) entre 2 groupes pour favoriser une vraie fluidité notamment au niveau des parcours professionnels.
Un point de détail : toutes les jeunes recrues n’applaudissent pas ces évolutions. Mais qui sont, comme on peut l’entendre de manière tout à fait judicieuse, un simple mouvement de balancier, que je ne pense pas irréversible…..
Cette fois ci ce n’est pas l’héritage mais l’écriture de l’histoire qui nous le dira…