Group of climbers on the top of mountain

Comment recréer la confiance dans une entreprise qui gère un risque industriel, alors que les repères du métier ont été oubliés au fil des années ? Il aura fallu retrouver les gestes de base de ces métiers, changer le modèle managérial et les méthodes d’évaluation des résultats, travailler avec les intervenants externes, donner des gages de confiance aussi bien aux représentants du personnel, à l’administration, qu’aux managers. Redéfinir un projet qui donne le sens dans la durée à cette activité industrielle en charge de la sécurité des réseaux et donc des biens et des personnes, par délégation de service publique des autorités locales.

La conviction des dirigeants est indispensable. Elle ne suffit pas. Il faut un engagement sans limite, et éviter les mots sans action, c’est-à-dire l’incantation. Du concret, des choix clairement expliqués, des décisions portées par toute la ligne managériale. Une attitude, un comportement cohérents.

Témoignage…

Ce qui s’est passé au sein des équipes de gaziers qui exploitent les 200 000 km de réseau de distribution de gaz naturel sur le territoire français, est une illustration de ce travail de métamorphose pour quitter « la défiance » et aller vers « la confiance ». Quelques idées simples et démultipliables inspirées par la transformation managériale conduite après Tchernobyl  dans le parc nucléaire français., ont été adaptées et mises en œuvre dans l’activité gazière.

L’activité de distribution de gaz (et d’électricité) est une activité de main d’oeuvre à la différence des activités de production d’électricité qui sont capitalistiques. Pour autant, nous sommes bien dans une activité industrielle à « pas de temps » longs. Il s’agit de maintenir en sécurité ce réseau aujourd’hui et demain, pour qu’il soit un facteur de confiance et non de peur pour les villes, les communes et les clients qui font le choix du gaz naturel.

Un long passé centré sur la productivité de court terme a marqué en profondeur la culture managériale.  Obsession permanente de chaque manager jugé uniquement sur la baisse annuelle de son budget d’exploitation.  « Faire  plus avec moins » était un leitmotiv…Les mots sécurité, clients sont passés en deuxième ligne puis ont été oubliés. Les réflexes  de base du gazier sont perdus. Ils se mettent en risque sans même s’en apercevoir… Plus personne ne leur porte la parole du métier et de la sécurité.

Le professionnalisme se perd au fil des années. Les remplacements des gaziers expérimentés partent en retraite n’étaient plus anticipés depuis longtemps. Plus d’embauches. Plus de formation. Les managers première ligne « expérimentés » partent et sont remplacés par des jeune sortis de l’école qui ne peuvent pas assurer le rôle de référent métier et apporter leur savoir faire à leur équipe. Lorsqu’un écart est constaté dans une équipe, on envoie les personnes concernées en formation….cherchez l’erreur !!

La productivité de court terme aboutit inéluctablement à la perte de savoir faire dans la durée.

Les cas d’écart par rapport à une procédure, ou par rapport à une règle de métier, sont sanctionnés sans chercher à comprendre pourquoi. La sanction a priori tue l’expression et la transparence. Dans une activité à risque rien de plus dangereux que le manque de transparence qui masque les problèmes rencontrés, par crainte de la sanction. Comment décider des solutions adaptées pour éviter une autre crise, un autre incident sans connaître et comprendre les vraies causes d’un événement ? La sanction a priori tue toute possibilité de savoir. Celui qui la prend se donne l’illusion d’avoir fait acte d’autorité, alors qu’il a fait acte de faiblesse et de manque de professionnalisme et a perdu toute légitimité aux yeux de son équipe. Il est « grillé ».

Ces constats ont été faits à la suite de plusieurs accidents survenus régulièrement. 2008 marque une rupture importante. La mobilisation de toutes les parties prenantes, et des dirigeants de l’activité de distribution de gaz naturel  autour de cet objectif de sécurité, a  permis de renverser la tendance. C’est une question de vie pour les femmes et les hommes qui interviennent ou qui habitent à proximité du réseau. C’est une question de responsabilité pour le DG de GrDF et pour les directeurs qui ont la responsabilité par délégation. C’est un enjeu pour l’avenir de cette énergie.

J’ai travaillé sur le terrain avec les exploitants, avec toutes les équipes qui sont en charge de la gestion des incidents. Nous avons pris des décisions concrètes rapides pour donner le signe que nous changions profondément de mode de management (par exemple dotation d’une tenue identique à celle des pompiers pour toutes les équipes d’urgence sécurité gaz). Et que la sécurité était dorénavant la colonne vertébrale de l’Entreprise, et donc de son management. Nulle entreprise industrielle dans le monde n’affichera des résultats de qualité dans la durée, si elle fait des impasses sur les fondamentaux de son activité, et sur la sécurité, que ce soit en terme de santé-prévention ou en terme de sécurité industrielle… Ce fut un formidable travail pour retisser les bases de chaque métier (exploitant, maintenance, cartographie …) et leurs interactions. Il a fallu aussi travailler dans cet esprit avec les donneurs d’ordre externes pour les travaux en sous-sol, avec les entreprises de travaux, avec la sécurité civile pour faciliter la connaissance des gestes de base en cas de problèmes et créer la confiance entre les sapeurs pompiers et les gaziers. Il a fallu donner de la visibilité sur nos actions et leur avancement, sur les différents incidents, leur analyse et leur résolution. Il a fallu redéfinir une politique de maintenance, des programmes, un budget et un système d’information.

Nous avons embauché des futurs exploitants, redéfini l’organisation sur le terrain des équipes pour clarifier les rôles et les interactions, par exemple entre ceux qui exploitent le réseau et ceux qui en assurent la maintenance. Il a fallu faire évoluer les outils informatiques, les systèmes d’information, intégrer la modernité dans un univers qui avait arrêté d’innover. Il a fallu revoir le système de management. Arrêter les évaluations individuelles basées uniquement sur des objectifs quantitatifs. Favoriser la transparence, la détection rapide des événements, et la transparence. Il a fallu expliquer à l’actionnaire, à la Commission de Régulation de l’Energie, l’importance d’avoir le meilleur équilibre sécurité-performance.

Cette démarche de reconstruction de la confiance au sein de l’Entreprise a été menée aussi dans la relation avec les représentants du personnel. Ecoute, travail et information en amont des décisions et de la finalisation des projets. Clarification des règles de fonctionnement, et des valeurs  repères … Cette démarche en profondeur a permis de créer une mobilisation de tous les métiers sur le plaisir du travail bien fait.

Laurence Hézard