Embaucher des profils atypiques, faire confiance à des personnes qui ont des expériences variées, des cultures différentes. Les faire évoluer pour qu’elles puissent acquérir un savoir-faire, une légitimité dans leur métier, les suivre pour identifier les profils de managers, de futurs dirigeants, les experts…..curieusement, cela semble de moins en moins possible dans les grandes entreprises. La gestion des compétences y est de plus en plus déléguée à des cabinets de recrutement externes. Une certaine opacité s’est développée au fil du temps dans les modalités de sélection. Ce qui contribue à créer un climat délétère au sein des entités et des filiales de ces groupes et conduit à un résultat inverse à celui affiché dans la 1ère phrase….le fait du prince (ou de la princesse), se traduit par des équipes de direction clonées, une grande place faite aux réseaux divers et variés du décideur et « cerise sur le gâteau » à l’éviction de toute personne qui émet un avis contradictoire ou ne tourne pas la tête dans le sens du vent.
Faire le pari de la différence, et prendre le risque du changement grâce à la complémentarité des profils et des cultures. Les pratiques constatées sont bien loin de cet idéal.
La peur de l’humain et l’ignorance de la compétence
Difficile de comprendre pour le commun des mortels comment on peut arriver à la situation où un dirigeant délègue à l’externe l’un des leviers essentiels de sa responsabilité. Comment il peut se sentir rassuré et assuré avec les systèmes de classement multiple (leader for tomorrow 1, 2…), de formations diverses ici et ailleurs. Bref tout un système censé lui produire du top dirigeant. Il est vrai que je suis mal placée pour comprendre car si ce système avait existé lorsque je suis arrivée dans les entreprises dans lesquelles j’ai évolué, je n’aurais jamais accédé aux responsabilités qui ont été les miennes.
Au fil du temps, la pratique du tri et du classement est apparue, développée avec force de matrices de consultant. Des références élitistes arbitraires peu claires ont été mises en place. Ceux qui apprennent qu’ils sont dans la « catégorie supérieure » des LFT 1, se sentent alors choisis au milieu de tous. En résumé l’élitisme a remplacé le népotisme qui avait été pendant de nombreuses générations une méthode de recrutement préférentielle.
Fausse objectivité et faux pouvoir : LFT (leader for tomorrow)…LFT 1, LFT 2 etc …on classe, on envoie ici et ailleurs, on fait miroiter le graal. On crée des viviers suivis au plus haut niveau. Les dirigeants des filiales ou des entités n’ont plus les mains libres pour choisir les compétences nécessaires à leur activité, et pour décider des évolutions de carrière de leurs collaborateurs. Les viviers de compétences notamment dans les métiers techniques ne sont plus alimentés. Les dirigeants de demain et d’après demain ne sont pas identifiés et pas formés. La fin de la culture technique se manifeste aussi dans ces pratiques. Tout a été commercial il y a 20 ans. Aujourd’hui tout est numérique….grave erreur de vision. Comme le disait Mme Claire Gaymard lorsqu’elle était à la tête de General Electric France, une économie basée uniquement sur le service et qui ne produit plus, est moribonde.
Lorsqu’un nouveau dirigeant arrive à la tête d’une entreprise…
Il arrive souvent qu’en deux temps trois mouvements, l’équipe de proximité du prédécesseur soit disloquée tout ou partie. Sans état d’âme. Méfiance ? Besoin de changer l’air ? tout cela peut se comprendre. Pour ma part, j’ai toujours trouvé étonnant que quelqu’un qui ne connait rien à un secteur d’activité, se prive en arrivant de certaines connaissances et savoir-faire. Je vois dans les opérations de « nettoyage », un signe de faiblesse et de peur d’autant plus inquiétant que ce genre de dirigeant exerce son pouvoir à travers des collaborateurs qui lui doivent leur nomination.
Cette pratique issue du monde politique s’est répandue aussi dans les grandes entreprises qui n’ont pas su protéger leur âme. Le clivage constaté au sein des ministères entre les cabinets des ministres et les services est pourtant bien identifié comme une source importante de dysfonctionnements dans la préparation des lois, des réglementations et décrets. Les mêmes effets se retrouvent dans les entreprises.
Mon expérience professionnelle est marquée par plusieurs changements complets d’activité et de responsabilité. En arrivant dans un nouvel environnement, je me suis toujours attachée à prendre le temps de comprendre, de me faire mon idée sur le projet à engager avant de bouger les équipes. Ensuite je m’entoure de compétences complémentaires aux miennes, de personnes qui ont un savoir et une expérience reconnus, qui partagent les mêmes valeurs. C’est une question de réalisme.
« Vous êtes formidable, nous sommes très contents de vous … »
Un entretien qui commence ainsi, peut se révéler une fin de non recevoir. « Nous sommes tellement content de vous, que nous n’avons rien à vous proposer…. « , c’est une façon « douce » de se débarrasser de quelqu’un qui dérange. Sans doute préférable à d’autres pratiques plus violentes. Est-ce si difficile de dire les raisons pour lesquelles, il n’est pas possible de garder quelqu’un dans l’entreprise ? parfois les vraies raisons ne sont pas toujours avouables. « Vous dérangez car vous respectez trop les lois et réglementations » ou bien » vous n’êtes pas assez souple, pas assez docile … »…
La difficulté d’exprimer clairement ce qui va et ce qui ne va pas, induit un glissement vers des pratiques perverses : se débarrasser de quelqu’un en le changeant de poste avec augmentation, le refiler à un autre service ou une autre entreprise en étant discret sur les difficultés rencontrées. Lui proposer des postes vides de contenu, sans visibilité sur la suite etc …. bref, c’est comme cela que des placards se remplissent dans les entreprises. Parfois, les plus courageux refusent ce genre de deal, et partent de leur plein gré.
Un art difficile
Cela dit, le choix des femmes et des hommes est un art difficile. Pour ma part, je n’ai pas eu que des réussites. J’ai fait des erreurs. Je constate aussi qu’il y a des moments où les individus sont galvanisés par un projet, par une dynamique par une ambiance et sont capables de faire bouger des montagnes. Sans cette force motrice ou dans un autre contexte, avec un autre dirigeant….ils ne sont plus les mêmes.
Ainsi va la vie.