A l’occasion de la légion d’honneur qui m’a été remise le 12 décembre 2013 par François Ailleret, directeur général honoraire d’EDF, j’ai fait un discours sur le thème de la « transition ». Un thème qui nous concerne tous, quels que soient nos secteurs d’activités et d’engagement, et que les dirigeants ont à appréhender.
En voici les idées principales…
A propos du débat sur la transition énergétique
Après les travaux menés dans les « Grenelle de l’environnement », ce récent débat, loin d’être abouti, a été l’occasion de commencer à réfléchir à la façon dont on passe d’un état à un autre état -non connu- avec des objectifs définis :
– une consommation maîtrisée des matières premières,
– un respect de l’environnement,
– un accès à l’énergie pour tous
– une responsabilisation de chacun dans sa contribution à ces objectifs.
Contribuer à un développement industriel, économique, avec une énergie disponible, fiable, peu coûteuse, respectueuse de l’environnement. C’est tout l’enjeu. Un enjeu majeur qui conditionne nos modes de vie dans le futur.
La complémentarité entre les énergies, et particulièrement entre le nucléaire, les énergies renouvelables et le gaz naturel est une réalité. Elle permet de proposer des solutions fiables et performantes, adaptées à cette phase de transition, et qui n’obèrent pas des équilibres qui seront redéfinis pour les générations futures. Nous avons devant nous un vaste chantier…
A propos de la transition entre le statut d’EPIC à celui d’entreprise privée
Cette transition énergétique a été précédée d’une évolution pour mettre en place les conditions de l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence, notamment dans les entreprises de ce secteur. Une première phase a été le changement du statut de ces entreprises historiques en monopole.
Ainsi pendant ces 10 dernières années, les 12 000 gaziers de GrDF par exemple ont vécu et mené la transition du monopole « statut d’EPIC (Etablissement public à caractère industriel et commercial) » à l’entreprise privée avec des missions de service public. Ce type de transition, en terme d’évolution dans l’entreprise, est une histoire de courage pour se remettre en question, pour réinterroger les repères historiques.
C’est une histoire de confiance pour désimbriquer un système intégré, et construire un nouvel ensemble qui se traduit aujourd’hui pour le client par une complexité et une multiplicité d’interlocuteurs, …et malheureusement une facture qui ne baisse pas.
C’est une histoire de fierté, pour ne pas perdre la reconnaissance et la confiance des collectivités locales et des clients, être des professionnels de la sécurité industrielle.
C’est une aventure humaine dans laquelle chaque salarié s’investit, avec des moments difficiles et de grandes satisfactions aussi.
…..
A propos de la transition entre une organisation d’entreprise verticale et une organisation qui favorise la transversalité
Aujourd’hui, la transition pour les entreprises, c’est aussi l’histoire d’une transition entre une organisation héritée du passé en « silos verticaux étanches » avec un soupçon de discipline militaire …. et un modèle managérial basé sur la coopération, la transversalité et la complémentarité. Evolution incontournable pour rester dans la course, et être à la fois agile et performant.
Ce fonctionnement encore trop « pionnier», bouscule nos habitudes. Il intègre la « réalité virtuelle » de la circulation de l’information et des communautés qui se créent et vivent à travers les réseaux sociaux. Il prend en compte les aspirations des jeunes, puisque nous l’avons imaginé avec eux. Il conjugue responsabilisation de chacun dans son activité et coopération avec les autres, pour avoir un maillage efficace et ressenti comme tel par les clients.
Il mise sur l’engagement et l’intelligence individuels et collectifs.
Il est exigeant et ne peut être piloté que par des dirigeants convaincus, exemplaires, impliqués, courageux et tenaces, qui voient au-delà d’eux et assurent la cohérence dans le temps.
La mise en œuvre d’un tel modèle est une aventure humaine passionnante que j’ai eu la chance d’engager avec les dirigeants, les salariés et les représentants du personnel (qui sont là aussi ce soir) de GrDF.
A propos du rôle du dirigeant, du chef d’entreprise pour mener ces transitions
Quel que soit le secteur d’activité, les chefs d’entreprise et les dirigeants ont la responsabilité de s’engager dans ce type de transitions. Ils sont là pour initier du nouveau, l’imaginer, le faire vivre, le créer. Ils nourrissent les maillons de la chaîne qui relie les salariés entre eux, et qui relie les salariés à l’entreprise et font vivre des valeurs, des comportements. Ils incarnent et portent le sens.
Un sens qui, à l’heure du RSE et de l’entreprise citoyenne, dépasse le seul cadre de l’entreprise qui irrigue la société.
A propos de l’émergence de la notion de « transition citoyenne ».
Le CESE (Conseil économique, social et environnemental) qui nous accueille aujourd’hui, est un lieu d’observation des transitions de société. Je l’ignorais jusqu’à ce que j’y sois.
La transition s’y vit dans une pratique de travail qui est une forme de maïeutique, qui génère des propositions entre de multiples acteurs de la société aux enjeux et à la culture diamétralement différents.
…
Peu savent ce qui se passe réellement au CESE. Certains le critiquent et ont un avis tranché sur son sort. Pourtant, beaucoup d’acteurs publics pourraient s’inspirer des pratiques qui y sont utilisées. Ils expérimenteraient ainsi qu’il est possible de faire évoluer les représentations, d’identifier les dissensus et les consensus pour avancer avec une vision partagée.
En tout cas, au-delà de cette instance, dans une période aussi critique que celle que nous vivons aujourd’hui, nous avons à réfléchir :
– sur la façon dont nous prenons les décisions,
– sur la façon dont nous créons une réelle coopération entre les acteurs de la société,
plutôt que des oppositions et des incompréhensions porteuses de rejet.
Pour créer une dynamique constructive plus efficace que la logique du bouc émissaire ou du rejet de l’autre comme étant le responsable de nos maux. L’enlisement des conflits et l’absence de créativité ne sont pas inéluctables.
A propos de la transition entre les générations
Enfin la transition, c’est aussi ce passage de relais au sein d’une famille entre les générations. Une culture, une éducation, des valeurs, des références, un état d’esprit qui nous irriguent et nous relient. De génération en génération, pour chacun d’entre nous, pour nos enfants et les leurs, il s’agit de s’approprier ces valeurs et ces références, pour construire demain.
Un « demain » qui sera forcément différent.
Gérer la transition, c’est aller vers l’inconnu, c’est prendre des risques, c’est ne pas en avoir peur. C’est nous hisser « sur les épaules nos parents, de nos prédécesseurs, de ceux qui nous transmettent le relais » pour être solides sur nos bases, nos racines et regarder plus loin.
Laurence Hézard