Dans un article publié en septembre 2015, je rappelais les raisons pour lesquelles la France avait réussi à développer dans les années 70-80 une politique industrielle efficace pour construire le programme nucléaire, avec l’objectif de contribuer à l’indépendance du pays en matière d’énergie.
Se donner un objectif fédérateur, « politiquement proof » et s’y tenir dans la durée est le premier enseignement de cette aventure industrielle. Engager un nouveau projet énergétique, en associant tous les acteurs concernés, jusqu’aux particuliers est de nature à redonner une ambition positive pour tous les acteurs de la société. Est-ce possible ?
Se mettre en mouvement : maintenant !
Se congratuler et applaudir à la réussite de la COP 21, c’est formidable. Les belles paroles des politiques et des participants sont diffusées partout. Tout le monde applaudit.
Les idées existent. Les engagements sont pris. Les débats et travaux réalisés depuis une dizaine d’années par les gouvernements ont permis de les exprimer. Une loi existe. De nombreux rapports – notamment ceux du CESE – montrent qu’il existe un consensus pour engager cette évolution, en toute connaissance des points de désaccord de chaque partie prenante.
Tout le monde est prêt à se mettre en mouvement ? à prendre le risque d’avancer en marchant ?
Créer la confiance, organiser le nouveau projet énergétique
Quelques idées simples permettraient d’impulser le mouvement. Les mots souvent prononcés, notamment par la Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, ont du mal à se transformer en actions. Maintenant il faut faire !
- « Rassembler plutôt que diviser » tous les acteurs du secteur de l’énergie, les entreprises du secteur de l’énergie, grands groupes, PME…autour de cet enjeu. Cohérence de l’Etat dans son rôle de redéfinition de la politique énergétique du pays, de gestionnaire de l’intérêt collectif dans la durée, dans son rôle d’actionnaire. Redéfinir une politique industrielle qui respecte les rôles d’ensemblier, de maître d’ouvrage, de maître d’oeuvre etc…
- Initier les transversalités et les passerelles entre les différents secteurs concernés par les mesures prioritaires définies dans la Loi : transport, santé, industrie, bâtiment, formation, investisseurs, associations etc …et élaborer un plan de financement, définir une fiscalité adaptée, mettre en place des mesures de contrôle de mise en oeuvre et des résultats obtenus en toute transparence. La transversalité et la cohérence commencent au niveau des ministères, du législateur et de tout l’appareil en charge de l’élaboration des réglementations.
- Piloter sur plusieurs échelles de temps. La loi a retenu des mesures de court terme concrètes. D’autres travaux sont à engager avec détermination pour préparer l’évolution des équilibres entres les différentes énergies. Un nouveau projet à déployer sur plusieurs années, avec des programmes de recherche (nouvelle génération de réacteur, stockage de l’électricité, ….), des étapes, des objectifs définis et une concertation en continu qui accompagne la mise en mouvement de tous.
- Articuler la complémentarité entre le global et le local, définir les marges de manoeuvre en matière d’énergie aux différents échelons (national, région, local). Responsabiliser les décideurs sur l’énergie (qu’ils soient individuel, collectifs, etc …), et contribuer à trouver des solutions adaptées au contexte local.
- Fixer des objectifs dans le temps, avec des points de rendez-vous en toute transparence, et faire des bilans par rapport aux trajectoires de domination d’émission de carbone, de coût pour le client final, de coût pour la collectivité.
Ce qui me parait simple, ne l’est pas pour le Gouvernement. La façon de raisonner d’un dirigeant d’entreprise n’est sans doute pas politiquement compatible.
Le courage et la volonté d’engager une transformation : où est la force motrice ?
En France, la pratique du « politiquement correct » pour ne pas dire de « l’électoralement correct » a rendu très difficile l’expression claire et précise des changements. Surfer sur les sujets, éviter de traiter les raisons de fonds d’un problème, autant de dérives qui au fil des années sont devenues pratique courante. Résultat : une profonde incohérence et des contradictions qui ont sapé la légitimité de la parole politique, une incapacité à se pencher sur les causes profondes des difficultés et donc à prendre des décisions pertinentes….dans la durée.
Le cas de l’énergie est en cela typique. Les politiques sont pris au piège de leurs contradictions, de leurs compromissions, de leur manque de vision et de culture industrielle. A cela s’ajoute, leur défiance vis-à-vis des chefs d’entreprise et de tous ceux qui ont un savoir qu’ils n’ont pas. Alors, on fait quoi maintenant ?
Un objectif collectif mobilisateur : la division par 4 des gaz à effet de serre d’ici 2050.
Les objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre, de moindre consommation par usage, de construction et de rénovation, et de transport respectueux de l’environnement sont autant d’actions concrètes mobilisatrices pour de nombreuses entreprises de ces secteurs d’activité, des objectifs parlants pour les citoyens.
Un travail de planification, de formation, de financement reste à engager avec les professionnels, avec une claire visibilité sur les modalités de financement, et la fiscalité associée et les dispositions incitatrices. Le fait d’inscrire ces mesures sur une période donnée est nécessaire pour éviter qu’elles ne soient qualifiées de « niches fiscales » au bout d’un moment.
Il est indispensable d’ouvrir un chantier sur les différents scénarios des équilibres entre le nucléaire et les autres énergies sur les 50 prochaines années. Scénarios à éclairer y compris sous l’angle du coût pour le consommateur.
Gouverner, c’est diriger ….donner le sens.
Il est urgent de sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes en matière de prix de l’électricité. Ne pas avoir procédé aux augmentations nécessaires pour des motifs électoraux, est une erreur coupable de l’actionnaire qu’est l’Etat. Il nie ainsi la notion de « juste prix », et emmène les concitoyens sur une route qui à terme n’est pas bonne pour eux. En outre il impose des charges devenues prohibitives pour EDF (CSPE en dérive complète, obligation de rachat, reprise d’une partie d’Areva etc …). Certes la capacité à se remettre en question n’est pas chevillée au corps de cette entreprise. Avec tous ces lests accumulés au fil des années, sa transformation est devenue difficile. Sa sortie du CAC 40 est un très, très mauvais signe.
Quelle production d’électricité de base pour soutenir un développement industriel sur le territoire et assurer la fiabilité de l’équilibre production/consommation pour tous dans la durée ? Définir des priorités en matière de recherche : les réacteurs de demain, le stockage de l’électricité et de l’énergie, les énergies renouvelables et les complémentarités avec les énergies disponibles etc….ces sujets sont pour certains bien engagés. Des réalisations sont opérationnelles ici et là. Une coopération fertilisante existe avec d’autres pays.
En bref, la matière existe pour nourrir l’élaboration d’un projet d’une autre modèle énergétique en France et en Europe.
Une politique énergétique européenne
Les Allemands sont parfois cités en exemple et parfois décriés. En matière de choix énergétiques, j’ai souvent entendu de sévères critiques sur leur décision d’arrêter le nucléaire. Décision certes rendue possible par la disponibilité d’électricité sur le marché européen, notamment en provenance de la France. Décision à contre courant des mouvements écologistes allemands puisqu’elle s’accompagne d’un recours accru aux centrales au charbon et au lignite et cela pour de nombreuses années. Le temps qu’il faut pour transformer le paysage énergétique du consommateur aux producteurs. Décision impliquante pour tous les citoyens et pour tous les acteurs économiques et politiques du pays.
Une décision qui met en mouvement le pays avec un objectif simple et concret : avoir réduit les émissions de gaz à effet de serre et avoir une politique énergétique sans nucléaire. Cela ne se fait pas en deux temps trois mouvements, et surtout cela ne se fera pas sans une politique européenne. La France interconnectée au-delà des réseaux de transport d’électricité et de gaz naturel, devrait jouer un rôle central pour une Europe de l’énergie.
Ne nous privons pas d’un projet porteur d’avenir !
Les choix en matière d’énergie sont engageants pour le siècle en cours. Ils ne peuvent être décidés qu’avec une claire identification et partage de la vision de ce que nous imaginons être après-demain.
C’est une possibilité de réinventer l’avenir et donc un projet porteur d’espoir pour tous.
Si seulement l’énergie était le seul domaine où les objectifs économiques « court termistes » et les visées électoralistes généraient quelques difficultés. Mais le cancer se généralise : dans des domaines publics aussi peu suspects de rentabilité que par exemple les schémas directeurs de transport des métropoles, on assiste à des flux et reflux d’orientations et de solutions en fonction de surenchères et de résultats électoraux. L’impéritie de très nombreux politiques conduit à un désintérêt, à une perte de vision et d’espoir(s), au profit de pensées négatives, voire sacrificielles. La question que je me pose, c’est comment agir pour contribuer à une torsion du système sans y entrer. A ce titre, j’ai trouvé une sérieuse note d’espoir à travers le film de Mélanie Laurent et de Cyril Dion (Demain), qui propose ( semble t il) de vraies solutions par des initiative collectives et entrepeneuriales, sans que le spectateur ne reçoive une baffe écologiste moralisatrice et bêlante. Et c’est un peu comme pour l’énergie : les systèmes centralisés trouvent en ce moment leurs limites, vive la responsabilisation à travers des systèmes de proximité, qui certes ne remplaceront pas tout, mais ferons évoluer l’ensemble. Et la production et consommation d’énergie de demain, si elle est prise sur le bon angle, pourrait proposer une sérieuse évolution des modes de pensées et de décision du « système ».
Oui Gérard, je pense aussi que le balancier système centralisé/responsabilisation locale est en train de bouger….. Il y a des initiatives telles que celle des « zèbres » (Alexandre Jardin) et bien d’autres qui montrent une vraie énergie de faire en proximité.
La nécessaire ouverture et les complémentarités à trouver, se heurtent à l’attitude des élus de tous niveaux qui se battent pour préserver leur pré carré. Pas tous. Beaucoup.
En tout cas, le sujet « énergie » pourrait être un vrai levier de transformation…..positive.