Cela fait maintenant huit ans que tous les clients peuvent choisir leur fournisseur de gaz et leur fournisseur d’électricité. Dans les années 2000, au moment des débats autour de la transcription de la directive européenne dans la loi française, il était question de concurrence, de baisse des prix. Aujourd’hui, un constat s’impose : aucune de ces perspectives n’est réalité. Le débat sur le projet de loi transition énergétique n’a pas abordé ce sujet qui pourtant mériterait un bilan. Dommage.
Quelques points de repère.
Complexité
Pour qu’il y ait concurrence, la transcription de la directive européenne était une première nécessité. L’application de cette loi par les opérateurs en monopole en était une seconde. Ils l’ont fait bon gré mal gré.
Pour les deux entreprises concernées (EDF, Gaz de France à l’époque), cela s’est traduit pas une ré-organisation extra-ordinairement coûteuse. De profonds changements de repères pour les salariés, un dysfonctionnement et une complexité extrême pour les clients, les collectivités locales…. Ainsi par exemple un déménagement /emménagement est devenue une opération à risque. Le client a aujourd’hui deux, trois, quatre interlocuteurs là où il n’en avait qu’un auparavant.
L’efficacité du système antérieur ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir qui s’effacera avec le temps et avec la disparition de ceux qui l’ont connu. N’en parlons plus.
Il m’est arrivé souvent d’être interpellée par des élus, des parlementaires se plaignant de cette lourdeur et de cette nouvelle complexité qu’ils n’avaient pas imaginées en travaillant sur la loi. Le législateur n’en avait pas mesuré l’impact concret. Il n’a pas décidé en « toute connaissance de cause ».
La facture n’a pas baissé.
Selon la formule désormais célèbre, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Comment pouvait-on croire que le prix de l’électricité déjà très bas à l’époque par rapport aux pays voisins, et le prix du gaz baisseraient grâce à cette future concurrence entre opérateurs ? C’était faire preuve d’une bien grande naïveté. Les aléas récurrents du prix des énergies et notamment du pétrole étaient pourtant là pour nous rappeler cette dépendance géopolitique chronique, par définition peu prévisible. Gouverner, c’est prévoir ?
Paradoxe : tout en votant une loi pour ouvrir le marché de l’électricité à la concurrence, les pouvoirs publics prenaient des dispositions pour bloquer le prix de l’électricité à ce niveau déjà très bas à l’époque. Miroir aux alouettes : cette décision interdisait de fait toute concurrence réelle sur cette énergie tout en faisant croire aux français que leurs intérêts étaient protégés. En fait le tas de sable est à chaque fois poussé au fil des années. A un moment ou un autre, il faudra prendre des orientations à l’opposé, qui seront douloureuses et désagréables. Quelque soit le scénario de mix énergétique cible retenu. Transparence ?
Sur le marché du gaz naturel, la concurrence existe
Le retour d’expérience en ce qui concerne le marché du gaz naturel, montre une réelle concurrence. Quelques 30 fournisseurs y sont aujourd’hui actifs. Sur les 11 millions de consommateurs de gaz naturel, environ 1,8 millions ont changé de fournisseurs. Le prix du gaz (tarif historique) varie selon des modalités qui ont été profondément revues. Les fournisseurs autre que l’opérateur historique, font des offres attractives en s’approvisionnant sur des marchés spots et autres, qui séduisent les clients. certains d’entre eux ont déjà changé plusieurs fois de fournisseurs.
Cette réalité a été un moteur puissant pour engager les équipes d’ex Gaz de France, à se remettre profondément en question. Y compris pour les gestionnaires de réseau (GRT gaz, GrDF), qui ont changé leur organisation, leur mode de fonctionnement, leur relation avec les parties prenantes. Cette transformation était d’autant plus nécessaire que le gaz naturel était de moins en moins l’énergie préférée des français, et que son image avait mal vieillie. Il était devenu ringard au fil des années. C’était une question de survie.
Huit ans plus tard, ces entités contribuent à des projets de méthanisation et d’injection de biométhane dans leur réseau. Elles suivent les travaux sur l’hydrogène. Le « power to gas », les carburants GNV etc…sont autant de voies en cours d’exploration qui trouvent toute leur place dans la transition énergétique, en complémentarité avec les solutions énergies renouvelables et production d’électricité de base nucléaire. Et en attendant de pouvoir compter sur d’autres sources d’énergie avec un bilan carbone encore moindre.
Il s’agit bien de prévoir comment ces infrastructures de réseau décidées après guerre, dont les investissement sont amortis, pourront continuer à transporter de l’énergie accessible tous ceux qui sont en proximité.
Un nouveau monde, de nouveaux acteurs, la CRE « gardien du temple »
En devenant des entreprises à part entière, filiale d’un Groupe, ces nouvelles entités sont devenues « maîtres de leur navire » avec des comptes à rendre à de multiples acteurs : actionnaire, Commission de régulation de l’énergie, DIGEC, collectivités locales, FNCCR…..Et donc, responsables des performances, des résultats, de l’avenir de l’activité. C’est un état d’esprit tout à fait différent de celui d’une direction ou sous-direction d’un groupe.
Elles sont intégré de nouvelles règles du jeu et notamment une toute autre relation entre « entreprises régulées » (les réseaux GRT gaz, GrDF, RTE, ERDF) avec leur maison mère et actionnaire. Sujet sensible. La tentation est grande d’avoir une certaine porosité des frontières. Jouer trop le jeu de l’indépendance et de la neutralité est souvent mal vu. Et pourtant les textes de la loi promettent des sanctions financières et pénales lourdes pour les salariés des entreprises régulées, qui ne respectent pas le code de bonne conduite. Mon engagement à respecter l’esprit et la lettre de la loi, n’a certainement pas plu ici et là. Une question de point de vue !
De nouveaux acteurs sont apparus : notamment la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui détermine le tarif facturé par les réseaux aux fournisseurs qui les utilisent. Les moments de négociations (tous les 4 ans en gaz) sont de moments intenses, avec de nombreux échanges parfois très vifs. Nous avons appris à préparer et à vivre cette négociation en défendant nos intérêts avec vigueur. Un des objectifs de fond était d’éviter de réduire nos budgets de maintenance et donc nos dépenses d’exploitation. C’est une tentation facile mais dont les impacts se paient toujours à un moment ou à un autre. Il faut savoir naviguer au milieu de forces divergentes entre la CRE qui cherche à baisser le tarif, et l’actionnaire qui espère au contraire son augmentation.
La transition énergétique et le marché européen de l’énergie
La loi « transition énergétique » est le fruit de plusieurs années de débats. Elle amorce une possible nouvelle dynamique. Dans l’avis que nous avons donné au titre du CESE, nous avons apprécié les mesures concrètes proposées dans le bâtiment et le transport. Nous avons apprécié aussi l’effort fait pour ne pas centrer les débats sur « le nucléaire pour ou contre ». Il est maintenant indispensable d’engager ces actions, d’en préciser le financement et d’en suivre l’efficience de façon transparente. Il est aussi nécessaire d’organiser les travaux sur les scénarios de mix et leurs impacts y compris sur la facture des clients.
Pour aller plus loin dans la bonne appréciation des solutions possibles, un bilan 8 ans après l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence en France permettrait de faire émerger les améliorations et les écueils à éviter notamment dans les discussions au niveau européen.
L’organisation du marché de l’énergie au niveau européen, est un élément essentiel d’une réflexion pertinente sur les choix français.
Article très intéressant!