Il venait d’être nommé patron des centrales nucléaires d’EDF lorsque je l’ai connu. Il m’a trouvée un samedi matin, dans un bureau à la Défense. J’étais en train d’écrire le rapport d’activité du Service de la production d’électricité nucléaire ……sur mon ordi personnel. C’était en 1989.
Il m’a demandé ce que je faisais là. J’ai su plus tard que c’était sa façon d’être. De venir au bureau le samedi matin. Se balader dans les couloirs et discuter avec les personnes qu’il rencontrait. Normal pour lui. Il le faisait lorsqu’il était patron en région. Après avoir avalé plusieurs dizaines de kilomètres à vélo, il passait faire un tour pour discuter avec les équipes de quart. Le terrain. Être sur le terrain. Humain, profondément humain et à la recherche du contact. Les bureaux parisiens sont plus vides que les usines de production le week-end !
Original, et en dehors du cadre. Toujours. C’est ce qu’il fallait pour sortir le nucléaire du carcan des ingénieurs, et en faire un ensemble industriel qui inspire confiance. Enjeu vital après les accidents de Three Miles Island et de Tchernobyl.
Il a donc engagé une transformation en profondeur des pratiques de management de cette activité à risque, en remettant l’homme au centre (« le facteur humain ») de la sûreté nucléaire. Son projet s’articulait autour de démarches correspondant aux leviers de pilotage de l’activité (maintenance, conduite, ingénierie, sûreté, gestion, communication, professionnalisme, système d’information ….). Il a intégré « la transparence » en interne et dans la relation avec les autorités de sûreté, les médias et les parties prenantes externes. Il a remodelé les équipes de direction des centrales, réarticulé les relations entre le national et le local, les interactions avec l’environnement de proximité des centrales nucléaires, avec les autorités locales et nationales. Il a développé les échanges entre les exploitants de centrales nucléaires dans le monde entier. Son terrain d’action était multidimensionnel, en trois D et plus. Il allait du plus petit au plus grand, du local à l’international.
Il a déverrouillé les modes de fonctionnement internes à EDF. Il nous ouvrait les portes et nous lui faisions confiance. Nous avancions ensemble portés par un projet mobilisateur et valorisant. C’était un dirigeant hors normes qui ne craignait pas de s’entourer de profils atypiques. Il s’affranchissait du passé et des habitudes. Atypique.
Tout cela permet aujourd’hui que l’électricité produite par les centrales nucléaires françaises soit un atout, et considérée comme tel par une majorité des français..même «écolos » !
Hors norme aussi par sa simplicité, sa rapidité à trouver le chemin pour avancer en terrain escarpé. Il me disait « c’est comme en montagne lorsque tu suis les chamois. Tu sautes d’un rocher à un autre en gardant l’équilibre … ! ». Avec lui tout était possible et nous l’avons fait.
J’avais confiance en lui.
Dommage que ce texte ne soit pas signé.
Je partage tout ce qui est dit ayant été son adjoint pendant 6 ans de 1982 à 1988. Il arrivait à 7h30 le matin après avoir fait 10 km de footing et pris sa douche. Il était infatigable.
Il commençait toujours par ouvrir grand les fenêtres de son bureau même par grand froid. Il y a beaucoup de brouillard dans la plaine de l’Ain et parfois le brouillard rentrait dans le bureau.
Je me souviens d’une réunion dans son bureau avec Jean-Marie Laurent chef de la maintenance, nous avions eu une réunion dans son bureau, lui en bras de chemises et nous avec le pardessus !!
Il débordait d’idées et de dynamisme. L’adjoint devait mettre en musique. Lors de son départ du CNPE BUGEY, j’ai dit qu’être adjoint de Pierre n’était pas un métier mais un sacerdoce.
Il avait des expressions uniques qui parfois surprenaient les organisations syndicales. Quand, parfois, il les malmenait et les mettait à la porte de son bureau, je savais qu’elles allaient atterrir dans le mien.
Nos bureaux communiquaient par une porte toujours ouverte.
Il lisait à une allure surprenante et retenait immédiatement ce qui était important. Mais il était très à l’écoute.
Lorsqu’il est parti comme patron de la DPN, nous nous téléphonions souvent et ce rite est resté même après notre départ à la retraite.
Il a tout fait pour respecter ma volonté de rester sur Lyon liée à l’emploi de mon fils handicapé. Et je lui en serai toujours reconnaissant. Je ne suis pas certain que l’on respecte autant les situations humaines aujourd’hui dans notre grande maison.