Dès sa création en 2008, l’entreprise GrDF a redéfini son modèle managérial à partir du questionnement sur les pratiques et les comportements, sur la volonté de décloisonner l’organisation autant que les manières de penser, sur le partage des orientations pour donner du sens, sur le rôle du management, sur la mise en place de catalyseurs de la transformation et sur la simplification.
Avec un recul de près de 6 ans, il est possible de dégager des enseignements en termes de pilotage de la transformation…
Questionner les pratiques et les comportements
Dès la création de l’entreprise, en 2008, la mise en place de démarches transverses spécifiques (comme les démarches Facteur Humain, Retour d’EXpérience, Innovation, ou encore Performance) a mis au premier plan l’importance de la manière de se poser des questions, et l’importance des comportements dans la performance globale de l’entreprise. Des démarches de ce type, qui traversent l’entreprise, viennent bousculer les habitudes et les certitudes dans lesquelles nous avons tous tendances à nous confiner. Elles nous questionnent et nous poussent à faire évoluer nos pratiques.
Cette façon volontariste de travailler, autour des questions et des comportements, est un moteur qui rassemble les salariés d’une entreprise dans une démarche très solide sur ses points de repères, et en même temps très ouverte et très dynamique. Elle favorise l’échange où que l’on soit dans l’entreprise, et quel que soit son niveau hiérarchique. L’objectif est que chacun soit contributif avec un esprit constructif.
« Travailler ensemble » et ainsi décloisonner l’organisation et les manières de penser
Inviter chacun à se questionner, c’est une invitation au décloisonnement. Les grandes entreprises françaises, riches d’une longue histoire, à l’instar de ex- Gaz de France d’où est issu GrDF, se caractérisent encore aujourd’hui par des fonctionnements étanches, sans transversalité. Chacun préfère éviter que l’on vienne voir ce qui se passe dans « sa bulle ». Faire vivre le « travailler ensemble », et réunir les compétences pour collaborer à des sujets précis, est la seule voie possible dans le monde complètement interconnecté.
Oser se saisir du champ des sciences dites « molles »
Le débat encore très fréquent, trop fréquent, qui valorise « l’organisation » qui relèverait des sciences dures, au détriment de « la culture » qui relèverait des sciences molles est en réalité stérile et dépassé. Le travail sur tout ce qui est attitudes, comportements, état d’esprit, façons de se positionner dans l’entreprise, partage des valeurs, partage des référentiels est fondamental. Peu importe qu’il relève des sciences dures ou molles : c’est un levier majeur de transformation.
Mettre en partage les orientations
Transformer l’entreprise, ne consiste pas à faire de la réorganisation. Revoir les grands schémas d’organisation peut s’avérer utile et nécessaire. Ce n’est pas suffisant. Ce n’est qu’un aspect de la transformation. Le plus facile vers lequel la nature humaine glisse tout naturellement. Les débats sur la seule organisation sont désincarnés et n’obligent en rien les acteurs, managers et collaborateurs, à se remettre en question pour fonctionner autrement. Le risque de se concentrer uniquement sur l’organisation, est que rien ne change. Dès lors, il s’agit avant tout de s’interroger ensemble sur les orientations et les contenus de la transformation que nous avons à mener dans chaque métier et dans leurs interactions, de s’interroger sur les manières de « faire » de la croissance demain en intégrant un environnement en forte évolution. Passer ensemble de la transformation subie à la transformation souhaitée.
Dans cette dynamique, l’objectif d’une équipe de direction, et in fine de toute la ligne managériale, est que les orientations prises soient bien comprises et mises en perspective. En nous posant ensemble, avec les collaborateurs, la question « pourquoi cette orientation ? », il s’agit de faire en sorte que chacun, dans l’entreprise, soit capable de traduire cette orientation dans l’exercice quotidien de son métier.
Concevoir l’entreprise comme un ensemble relié
Les conventions de managers, par exemple, outre le fait qu’elles favorisent l’échange et la transversalité, permettent de montrer symboliquement que, dans l’entreprise, il n’y a pas « le haut » et « le bas ». L’entreprise est un ensemble relié, une équipe, dans lequel les distances doivent être les plus courtes possibles. Favoriser un fonctionnement transverse, c’est privilégier la fluidité de l’information, les liens et les réseaux, tout en s’appuyant sur une organisation hiérarchique simple et lisible et des règles de « vivre ensemble » communes et respectées. La vie dans l’entreprise ne devient pas pour autant un happening permanent. Mais cela signifie qu’à un moment donné, en fonction des événements ou des sujets, tous les managers sont capables d’être ensemble, de se parler, pour, sur un problème, ressenti par tous comme étant un point de blocage par exemple, comprendre pourquoi cette difficulté, identifier les solutions possibles ou les solutions imaginables. Alors les managers eux-mêmes, conscients des difficultés et des enjeux, préconisent des « solutions en rupture » que dans le fonctionnement antérieur, la direction n’aurait pas osé elle-même mettre en avant, par peur de se heurter à des résistances.
Faire évoluer le rôle du management
Les entreprises subissent la pression des financiers, et sombrent donc dans la frénésie du court terme. Or un manager performant est celui qui donne du sens, qui explique ce qui fait la valeur de l’entreprise, qui intègre dans sa façon d’être que la satisfaction des clients et des parties prenantes est la base de la performance. Il sait créer les conditions par exemple pour qu’un opérateur, plutôt que de regarder sa montre pour partir à l’heure pile à la fin de la journée, anticipe et se dise : « Je prends 5 mn pour vérifier ce qui doit l’être».
Qu’est-ce qui va faire que chacun, aujourd’hui, dans son activité, va avoir le souci du travail bien fait. Comment faire en sorte que chacun se dise naturellement : « Je me sens partie-prenante dans une chaîne qui me relie à mon service, qui me relie à mon entreprise, et je sais que si je finis bien mon job ça va être bon pour moi, ca va être bon pour mon équipe, pour la sécurité, pour la performance, pour l’entreprise ». C’est cet état d’esprit-là que les dirigeants et les managers doivent développer, quels que soient leur rôle et leur place dans l’entreprise.
Ce n’est pas révolutionnaire, c’est simplement redonner du sens à ce qui relie le salarié à son job, à son équipe, à l’entreprise. Ce n’est pas révolutionnaire mais c’est important, c’est essentiel. Il est nécessaire d’accompagner les managers afin qu’ils transforment la perception qu’ils ont de leur rôle et qu’ils fassent évoluer leurs pratiques en ce sens.
S’appuyer sur des catalyseurs du changement
Les catalyseurs du changement peuvent se trouver à n’importe quel endroit dans l’entreprise. Il est important de les identifier, de leur donner la possibilité de s’exprimer, ainsi que les moyens d’entraîner le mouvement. Cela ne suffit pas toujours. La mise en place d’acteurs dédiés à l’accompagnement de la transformation, à l’écoute, des acteurs légitimes et missionnés, au plus près du terrain et de l’activité, est utile et nécessaire. Le travail de ces acteurs devra se centrer sur l’accompagnement, l’appui, parfois l’interpellation, toujours de manière transparente.
Simplifier les règles, les procédures, et le fonctionnement
Les grandes entreprises françaises croulent sous les procédures. Simplifier les règles qui se sont accumulées et superposées au fil des ans est peut-être le chantier le plus lourd en matière de transformation. Car il ne s’agit pas de tout rejeter du jour au lendemain. Il faut trier, analyser, factoriser avant de supprimer. Le poids du « prescrit » (des règles accumulées) est un enjeu concret qui montre où en est l’entreprise en matière d’évolution de ses modes de fonctionnement, et le chemin qui reste à parcourir pour développer la confiance, la transparence, le professionnalisme. Le poids et la quantité des règles est un sujet « lourd » qu’il faut réinterroger sans tabou en partant d’observations et d’analyses concrètes. Au sein des équipes de terrain, la confiance, la vraie confiance, va passer par là. Par cette simplification indispensable.
Pour finir : entretenir encore et toujours les leviers de la transformation
Les quelques leviers de la transformation présentés ci-dessus, issus de l’expérience, ne sont pas exhaustifs. Mais, mis en œuvre simultanément, ils font déjà à eux-seuls leurs preuves.
Evidemment transformer une entreprise managérialement et culturellement ne se fait pas en un claquement de doigts. C’est une affaire de long terme, de plusieurs années. Mais pour qui veut obtenir des résultats demain, il faut commencer dès aujourd’hui. Et veiller à régénérer, encore et encore, sans cesse, les leviers de la transformation. Il en va de la performance durable et de la pérennité de l’entreprise.
Laurence Hézard