Cinq années pour une expérience improbable au CESE (Conseil économique, social et environnemental). Nommée en 2010 au titre des personnalités qualifiées alors que j’étais Directeur Général de GrDF, j’ai débarqué dans ce lieu à l’architecture imposante devant lequel je suis si souvent passée sans jamais être entrée, par un après-midi de janvier.

Immédiatement j’ai eu l’impression d’arriver dans un autre monde. Pas vraiment un monde du futur.  Un lieu ancien et quelque peu désuet dont les rites respiraient le passé. Contraste entre mes journées dans l’entreprise que je dirige alors, où nous sommes dans un rythme de transformation et d’évolution en continu depuis sa  création en 2004 et ce lieu où rien ne semble avoir bougé depuis bien longtemps.

La plupart des conseillers (c’est notre titre) ont un certain âge.

Certains conseillers semblent être là entre deux postes ou deux missions. Ils disparaissent brutalement dès qu’ils sont nommés dans leur poste de destination. D’autres sont des « piliers » du CESE. Reconduits plusieurs fois. Maintenant ce n’est plus possible. Deux mandats au maximum. D’autres encore existent réellement et portent la voix et les intérêts de leur groupe d’appartenance. Quelques uns enfin sont spectateurs plus qu’acteurs.

La parité est respectée. Les femmes sont là en nombre.

La nouveauté en 2010 a été la nomination de quelques étudiants. Pas  suffisamment nombreux pour vraiment insuffler un changement en profondeur. La société civile (pas uniquement et pas complètement)  est représentée : les syndicats (de ce côté là rien de nouveau..), les associations environnementales, les associations diverses, les professions libérales, les entreprises (le Medef..rien de nouveau non plus), les agriculteurs, etc …..La plupart prennent à coeur leur mandat, s’investissent dans la réalisation d’un rapport et/ou d’un avis, s’expriment systématiquement dans toutes les circonstances offertes par le fonctionnement de cette assemblée.

Lourdeur du fonctionnement et de l’administration

Pour être pertinent dans les échanges autour des sujets présentés au vote en plénière, il faut consacrer un temps très important à la lecture d’un volume de papiers encore plus impressionnant que celui que j’avais à traiter dans mon activité quotidienne. La plupart des conseillers, membres de groupes constitués, bénéficient d’une infrastructure qui les aide. Pour les PQ (personnalités qualifiées), rien de tel. Chacun se débrouille comme il peut. Les trois premières années, j’ai pu bénéficier de l’appui d’un jeune de GrDF.

Ensuite, j’ai plongé dans les méandres du fonctionnement de cette assemblée. Les deux rapports dont j’ai été rapporteur  (« concertation entre parties prenantes et développement économique » avec Brigitte Fargevieille et « le projet de loi transition énergétique » avec Jean Jouzel), m’ont permis  de constater un investissement variable des administrateurs auprès des rapporteurs. Je ne peux qu’encourager la prochaine mandature à mettre en place un système d’évaluation des administrateurs et de gestion de leur parcours professionnel qui favorise l’engagement et la créativité dans une population qui semble vivre en dehors du monde du travail.

La troisième assemblée de l’Etat ? pourquoi pas.

Chacun se plaît à expliquer que selon la Constitution, « le CESE est la troisième assemblée du pays ». Une façon d’affirmer l’importance espérée de son rôle dans cette assemblée qui pourrait avoir un apport intéressant au processus de prise de décision législatif, si réellement l’Assemblée Nationale, le Sénat et le gouvernement la positionnaient dans ce rôle.

Le fait est qu’au fil des années et des générations de parlementaires et des successions de gouvernements, le réflexe s’est installé de créer à tout va des commissions, des comités multiples pour étudier, analyser, proposer. Autant d’instances dont le rôle est peu précis, dont les membres sont toujours les mêmes,  souvent en doublon avec d’autres instances, et qui commettent autant de rapports dont les conclusions sont rarement prises en compte. Dysfonctionnements coûteux, et  fausse bonne conscience.  Le CESE pourrait assurer ou contribuer à une partie de ces travaux.

On ne sait plus dire qui est à l’origine de cette dérive…et tout le monde s’accorde à dire à sa façon que ce n’est pas raisonnable de poursuivre ainsi.

Au-delà de l’intérêt personnel, l’intelligence collective et la possibilité de trouver des voies pour construire demain

Au cours de ces cinq années,  j’ai rencontré des personnes intéressantes que je n’aurai pas vues ailleurs. J’ai pu travailler sur des sujets parfois éloignés de mes centres d’intérêts. J’ai fait l’expérience de la possibilité de rassembler des acteurs de la société française très éloignés les uns des autres sur des orientations et  des recommandations réellement constructives (particulièrement à l’occasion de l’avis sur le projet de loi « transition énergétique »).

L’écoute et le respect de l’autre sont les bases du travail au CESE. Il m’a fallu retenir souvent mon expression directe pour intégrer les « codes » et prendre en compte la diversité des expériences des uns et des autres. Le « politiquement correct » est très en vogue au CESE !

J’ai pu moi aussi constater que toutes ces recommandations émises au fil des rapports et des avis, sont peu prises en compte (en considération ?). Ces documents édités à la Documentation Française, seraient – parait-il – utilisés par les administrateurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat et par les attachés parlementaires pour écrire des questions écrites ou orales ou pour nourrir leur propre rapport et proposition de lois ….

Une troisième assemblée pour veiller à la cohérence de la pensée, des décisions et des actions dans la durée 

Même pas en rêve ? pourquoi pas.

La plupart des Français aspirent à une cohérence entre les décisions et les valeurs républicaines, entre la vision de notre pays demain et  les orientations prises. Ils aspirent à une simplification des lois et des réglementations, à une meilleure efficacité dans le fonctionnement des administrations à tous les niveaux d’organisation, à la force du long terme au détriment des décisions de court terme. La plupart disent non au bipartisme et sont attirés vers les extrêmes par dégoût de ce  sempiternel et stérile affrontement de mots et de postures.

Il ne suffit pas de dire que les « promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ». Il est temps de redonner ses lettres de noblesse à la conduite du pays, de donner la possibilité de l’expression d’une volonté collective de vivre réellement les valeurs républicaines et cela avec l’exemplarité par les plus hauts niveaux de l’Etat, .

Dans ce cadre là,  le CESE a un rôle à jouer.