Lorsque j’ai commencé cet article, j’avais l’idée de témoigner de la possibilité de sortir de l’affrontement historique « organisations syndicales/dirigeants » dans une grande entreprise. Raconter mon expérience et dire que le conflit n’était pas inéluctable.
L’actualité de ces derniers mois autour de la loi travail, démontre que le dialogue entre les organisations patronales et les syndicats est inopérant et dépassé. Le MEDEF et la CGT sont aujourd’hui les seuls à faire vivre « la lutte des classes ». Mécontentement et colère de tous ceux qui ne s’y retrouvent pas, qui aspirent à autre chose.
La transformation du dialogue social est une urgence qui ne concerne pas que les entreprises. Elle concerne le monde du travail dans son ensemble, les pouvoirs publics et la société. Elle ne pourra s’opérer qu’avec la volonté de chacun de créer une autre relation au sein de l’entreprise.
Une évolution de longue haleine !
Des interlocuteurs avec qui dialoguer, des interlocuteurs de qualité
Les syndicats sont en perte de vitesse dans les entreprises, y compris les grandes entreprises. Ils ne font plus recette. Le dialogue social est-il en panne ? Force est de constater le recul de la syndicalisation, la difficulté pour les organisations syndicales à se rénover et à attirer les jeunes…..je ne suis pas sûre que les dernières manifestations aient provoqué une adhésion de ces derniers.
Les entreprises ont leur part de responsabilité dans ce recul. Lasses de passer un temps fou dans des organismes statutaires, dans un dialogue de sourds, avec des dirigeants agacés par les propos des représentants du personnel, et parfois traumatisés par d’anciens conflits ou pour les plus jeunes par ce qui s’en racontent….ces entreprises là ont parfois glissé sur la pente de la négligence et de la facilité, en ne favorisant pas des parcours professionnels permettant à des personnes compétentes dans leur métier, de faire un mandat syndical.
Avoir des représentants du personnel, avec des compétences techniques reconnues dans leur métier au-delà de l’appartenance syndicale, devrait être l’un des objectifs des managers et des dirigeants.
Des dirigeants convaincus et courageux
Pour être respecté, encore faut-il que les dirigeants aient une vision pour l’activité de l’entreprise, un projet sur le long terme, mobilisateur pour chaque salarié. Encore faut-il qu’ils soient clairs et exemplaires sur les valeurs qui les animent. Qu’ils les respectent.
Un dirigeant qui ne fait pas ce qu’il dit, crée la première possibilité de ne pas être respecté par ses interlocuteurs, salariés, managers, représentants du personnel ….
Et pour cela, un peu de courage est utile, pour éviter d’abandonner un objectif de long terme pour un profit de court terme, pour refuser un « deal » de peur d’un affrontement. La peur du conflit est une faiblesse que les interlocuteurs ressentent et utilisent et qui crée automatiquement l’adhésion des silencieux à celui qui est ressenti comme le plus fort.
Et oui, bien souvent, les rapports de force ne sont pas beaucoup plus sophistiqués que ce qui se joue dans une cours d’école !
Dialogue social et crise d’identité : témoignage
Lorsque GrDF a été créé en juillet 2007, à partir d’une direction commune à Gaz de France et à EDF, l’histoire sociale et syndicale de ces deux entreprises créées après la 2ème guerre mondiale en 1945 était inscrite dans ses gènes. Une histoire faite de négociations d’accords sociaux, de concertations permanentes au national comme au local, de combats, de grèves et de conflits. La mémoire des coupures d’électricité est restée vive. L’expression du droit de grève et les modalités d’action dans le respect des engagements de service public ont occupé des générations de dirigeants et de représentants du personnel. Pendant longtemps, nous étions ressentis le « laboratoire social » de la France, allant jusqu’à la notion de grève par procuration des salariés du privé.
La création du gestionnaire du réseau de distribution gaz naturel a été l’occasion de partir d’une page blanche aussi dans le domaine des relations sociales. Au fur et à mesure que nous avancions dans la construction de GrDF, nous avons ressenti un malaise car le « contrat invisible de Martin » qui reliait culturellement le salarié à l’entreprise, n’est plus respecté. Tout avait changé dans ce contrat, sans que cela ait été dit. Malaise et inquiétude. Urgence de parler de cela, d’identifier les écarts et de réécrire un nouveau contrat dans lequel le jeune Martin puisse trouver ses marques.
Première étape : convaincre les dirigeants d’abandonner leurs peurs et leurs souvenirs, pour s’engager dans un autre dialogue. Convaincre aussi les organisations syndicales. Abandonner les armes pour travailler sur la confiance….ce n’était pas gagné ! Méfiance, scepticisme, incrédulité de part et d’autre.
Deuxième étape : ouvrir un dossier et proposer des échanges pour expliquer la situation, le contexte, les enjeux et pourquoi il est nécessaire de faire évoluer une pratique professionnel, une organisation, etc …Arrêter ainsi avec la pratique du « dossier ficelé » qui arrive en organisme statutaire pour ordre. Un pas en avant, deux pas en arrière. Un rien, une maladresse, un mot ont parfois suscité un blocage. Maintenir le dialogue quoiqu’il en soit.
Un conflit social en 2009 a arrêté en plein élan, cette démarche. Ouverture du marché et séparation des activités de réseau, des activités commerciales, nouvelles règles de fonctionnement. A ces changements profonds s’est ajouté le traumatisme de la fusion de Gaz de France avec Suez cristallisé autour du saut salarial des dirigeants post fusion. Incompréhension et colère.
Ce fut un conflit long et dur. Nous avons trouvé des voies de sortie contenues financièrement. Nous n’avons pas payé les heures de grève et nous avons pris des sanctions lorsque les faits étaient avérés, selon notre réglementation interne. Nous avons aussi posé les gestes vis-à-vis de la justice, pour les faits contraires à la loi et aux règles de sécurité.
Aujourd’hui, les managers de GrDF me disent que le chemin est encore long. Que le changement des comportements n’est pas facile. Il faudra sans doute deux décennies pour passer réellement à une relation constructive et franche, basée sur une volonté collective de créer les conditions de travail qui favorisent le professionnalisme, et la réussite de chacun et donc de l’Entreprise.
Pour avancer après l’été
Le gouvernement avait demandé à Robert Badinter de faire une analyse du code du travail et des propositions. Une fois de plus, ce travail de qualité semble être abandonné. Il faut le reprendre et engager la refonte d’un corpus réactualisé, simple et pragmatique et basé sur des principes partagés
Affirmer les quelques grands principes communs à tous dans toutes les entreprises. Peu nombreux, intangibles cessent les guides des négociations qui s’engageront au plus près des lieux de décision dans chaque entreprise, pour permettre des choix adaptés aux métiers.
Ne pas laisser des technocrates qui n’ont jamais travaillé dans une entreprise, émettre des réglementations sans avoir une étude d’impact sur les différentes catégories d’entreprise. Le législateur doit être rigoureux et exigeant avant de voter une loi ….plutôt que de s’apercevoir quelques temps après de l’effet réel de la loi qu’il a votée ou de son inaplicabilité (l’exemple de la pénibilité !!)…..Combien de représentants de l’administration sur le terrain baissent les bras en levant les yeux au ciel et reconnaissent que ce qu’ils demandent aux entreprises est inefficace, coûteux et a un effet exactement contraire à celui espéré. Ils avouent ne rien pouvoir faire ….sauf certains rares, qui prennent le risque de ne pas appliquer.
Laisser les dirigeants diriger…c’est urgent. L’Etat fait un bien mauvais calcul en s’immiscant dans les décisions des dirigeants. Y compris dans les entreprises dont il est actionnaire. Syndrome du tout puissant qui ne paiera pas l’addition de ses erreurs puisque son temps est compté.
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Ce n’est sans doute pas un sujet pour les soirées estivales…….Après l’été, il faudra reprendre ce sujet et l’enrichir.
Cet article a suscité beaucoup de réactions et de contributions. Je remercie les lecteurs qui m’ont fait connaître leurs idées, leur expérience et leur avis sur ce sujet du dialogue social. Je vais donc utiliser cette matière pour faire une suite et poursuivre la réflexion. A suivre !
Merci
Laurence Hézard